Jean Racine
1639 - 1699
Phèdre [et Hippolyte]
1677
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Acte II.
Scène première. Aricie, Ismène.
Aricie.Hippolyte demande à me voir en ce lieu?Hippolyte me cherche, et veut me dire adieu?Ismène, dis-tu vrai? N' es-tu point abusée?Ismène. | |
370 | C' est le premier effet de la mort de Thésée.Préparez-vous, Madame, à voir de tous côtésVoler vers vous les coeurs par Thésée écartés.Aricie à la fin de son sort est Maîtresse,Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.Aricie. |
375 | Ce n' est donc point, Ismène, un bruit mal affermi?Je cesse d' être esclave, et n' ai plus d' Ennemi?Ismène.Non, Madame, les Dieux ne vous sont plus contraires,Et Thésée a rejoint les Mânes de vos Frères.Aricie.Dit-on quelle aventure a terminé ses jours?Ismène. |
380 | On sème de sa mort d' incroyables discours.On dit que Ravisseur d' une Amante nouvelle,Les Flots ont englouti cet Époux infidèle.On dit même, et ce bruit est partout répandu,Qu' avec Pirithoüs aux Enfers descendu |
385 | Il a vu le Cocyte et les Rivages sombres,Et s' est montré vivant aux infernales Ombres,Mais qu' il n' a pu sortir de ce triste séjour,Et repasser les bords qu' on passe sans retour.Aricie.Croirai-je qu' un Mortel, avant sa dernière heure |
390 | Peut pénétrer des morts la profonde demeure?Quel charme l' attiroit sur ces bords redoutés?Ismène.Thésée est mort, Madame, et vous seule en doutez.Athènes en gémit, Trézène en est instruite,Et déjà pour son Roi reconnoît Hippolyte. |
395 | Phèdre, dans ce Palais tremblante pour son Fils,De ses Amis troublés demande les avis.Aricie.Et tu crois que pour moi plus humain que son PèreHippolyte rendra ma chaîne plus légère?Qu' il plaindra mes malheurs?Ismène.Madame, je le croi.Aricie. |
400 | L' insensible Hippolyte est-il connu de toi?Sur quel frivole espoir penses-tu qu' il me plaigne,Et respecte en moi seule un sexe qu' il dédaigne?Tu vois depuis quel temps il évite nos pas,Et cherche tous les lieux où nous ne sommes pas.Ismène. |
405 | Je sais de ses froideurs tout ce que l' on récite.Mais j' ai vu près de vous ce superbe Hippolyte.Et même, en le voyant le bruit de sa fiertéA redoublé pour lui ma curiosité.Sa présence à ce bruit n' a point paru répondre. |
410 | Dès vos premiers regards je l' ai vu se confondre.Ses yeux, qui vainement vouloient vous éviter,Déjà pleins de langueur ne pouvoient vous quitter.Le nom d' Amant peut-être offense son courage.Mais il en a les yeux, s' il n' en a le langage.Aricie. |
415 | Que mon coeur, chère Ismène, écoute avidementUn discours; qui peut-être a peu de fondement!Ô toi! qui me connois, te sembloit-il croyableQue le triste jouet d' un sort impitoyable,Un coeur toujours nourri d' amertume et de pleurs, |
420 | Dût connoître l' amour; et ses folles douleurs?Reste du sang d' un Roi; noble Fils de la Terre,Je suis seule échappée aux fureurs de la Guerre,J' ai perdu dans la fleur de leur jeune saisonSix Frères, quel espoir d' une illustre Maison! |
425 | Le fer moissonna tout; et la Terre humectéeBut à regret le sang des Neveux d' Érechthée.Tu sais depuis leur mort quelle sévère loiDéfend à tous les Grecs de soupirer pour moi.On craint que de la Soeur les flammes téméraires |
430 | Ne raniment un jour la cendre de ses Frères.Mais tu sais bien aussi de quel oeil dédaigneuxJe regardois ce soin d' un Vainqueur soupçonneux.Tu sais que de tout temps à l' Amour opposéeJe rendois souvent grâce à l' injuste Thésée |
435 | Dont l' heureuse rigueur secondoit mes mépris.Mes yeux alors, mes yeux n' avoient pas vu son Fils.Non que par les yeux seuls lâchement enchantée,j' aime en lui sa beauté, sa grâce tant vantéePrésents dont la Nature a voulu l' honorer, |
440 | Qu' il méprise lui-même, et qu' il semble ignorer.J' aime, je prise en lui de plus nobles richesses,Les vertus de son Père, et non point les foiblesses.J' aime, je l' avoûrai, cet orgueil généreuxQui jamais n' a fléchi sous le joug amoureux. |
445 | Phèdre en vain s' honoroit des soupirs de Thésée.Pour moi, je suis plus fière, et fuis la gloire aiséeD' arracher un hommage à mille autres offert,Et d' entrer dans un coeur de toutes parts ouvert.Mais de faire fléchir un courage inflexible, |
450 | De porter la douleur dans une âme insensible,D' enchaîner un Captif de ses fers étonné,Contre un joug qui lui plaît vainement mutiné;C' est là ce que je veux, c' est là ce qui m' irrite.Hercule à désarmer coûtoit moins qu' Hippolyte, |
455 | Et vaincu plus souvent, et plus tôt surmontéPréparoit moins de gloire aux yeux qui l' ont dompté.Mais, chère Ismène, hélas! Quelle est mon imprudence!On ne m' opposera que trop de résistance.Tu m' entendras peut-être, humble dans mon ennui, |
460 | Gémir du même orgueil que j' admire aujourd' hui.Hippolyte aimeroit? Par quel bonheur extrêmeAurois-je pu fléchir...Ismène.Vous l' entendrez lui-même.Il vient à vous. |