Jean Racine
1639 - 1699
Phèdre [et Hippolyte]
Acte III
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Scène III. Phèdre, Oenone.
Oenone. | |
825 | Il faut d' un vain amour étouffer la pensée,Madame. Rappelez votre vertu passée.Le roi, qu' on a cru mort, va paroître à vos yeux,Thésée est arrivé. Thésée est en ces lieux.Le Peuple, pour le voir, court et se précipite. |
830 | Je sortois par votre ordre, et cherchois Hippolyte,Lorsque jusques au ciel mille cris élancés...Phèdre.Mon Époux est vivant, Oenone, c' est assez.J' ai fait l' indigne aveu d' un amour qui l' outrage.Il vit. Je ne veux pas en savoir davantage.Oenone. |
835 | Quoi?Phèdre.Je te l' ai prédit, mais tu n' as pas voulu.Sur mes justes remords tes pleurs ont prévalu.Je mourois ce matin digne d' être pleurée.J' ai suivi tes conseils, je meurs déshonorée.Oenone.Vous mourez?Phèdre.Juste Ciel! Qu' ai-je fait aujourd' hui! |
840 | Mon Époux va paroître, et son Fils avec lui.Je verrai le témoin de ma flamme adultèreObserver de quel front j' ose aborder son Père,Le coeur gros de soupirs, qu' il n' a point écoutés,L' oeil humide de pleurs, par l' ingrat rebutés. |
845 | Penses-tu que sensible à l' honneur de Thésée,Il lui cache l' ardeur dont je suis embrasée?Laissera-t-il trahir et son Père et son Roi?Pourra-t-il contenir l' horreur qu' il a pour moi?Il se tairoit en vain. Je sais mes perfidies, |
850 | Oenone, et ne suis point de ces Femmes hardies,Qui goûtant dans le crime une tranquille paixOnt su se faire un front qui ne rougit jamais.Je connois mes fureurs, je les rappelle toutes.Il me semble déjà que ces murs, que ces voûtes |
855 | Vont prendre la parole, et prêts à m' accuserAttendent mon Époux pour le désabuser.Mourons. De tant d' horreurs qu' un trépas me délivre.Est-ce un malheur si grand que de cesser de vivre?La mort aux malheureux ne cause point d' effroi. |
860 | Je ne crains que le nom que je laisse après moi.Pour mes tristes Enfants quel affreux héritage!Le sang de Jupiter doit enfler leur courage.Mais quelque juste orgueil qu' inspire un sang si beau,Le crime d' une Mère est un pesant fardeau. |
865 | Je tremble qu' un discours, hélas! Trop véritable,Un jour ne leur reproche une Mère coupable.Je tremble qu' opprimés de ce poids odieuxL' un ni l' autre jamais n' ose lever les yeux.Oenone.Il n' en faut point douter, je les plains l' un et l' autre. |
870 | Jamais crainte ne fut plus juste que la vôtre.Mais à de tels affronts pourquoi les exposer?Pourquoi contre vous-même allez-vous déposer?C' en est fait. On dira que Phèdre, trop coupableDe son Époux trahi fuit l' aspect redoutable. |
875 | Hippolyte est heureux qu' aux dépens de vos joursVous-même en expirant appuyez ses discours.À votre Accusateur que pourrai-je répondre?Je serai devant lui trop facile à confondre.De son triomphe affreux je le verrai jouir, |
880 | Et conter votre honte à qui voudra l' ouïr.Ah! que plutôt du Ciel la flamme me dévore!Mais ne me trompez point, vous est-il cher encore?De quel oeil voyez-vous ce Prince audacieux?Phèdre.Je le vois comme un Monstre effroyable à mes yeux.Oenone. |
885 | Pourquoi donc lui céder une victoire entière?Vous le craignez. Osez l' accuser la premièreDu crime dont il peut vous charger aujourd' hui.Qui vous démentira? Tout parle contre lui:Son épée en vos mains heureusement laissée, |
890 | Votre trouble présent, votre douleur passée,Son Père par vos cris dès longtemps prévenu,Et déjà son exil par vous-même obtenu.Phèdre.Moi, que j' ose opprimer et noircir l' innocence?Oenone.Mon zèle n' a besoin que de votre silence. |
895 | Tremblante comme vous, j' en sens quelque remords.Vous me verriez plus prompte affronter mille morts.Mais puisque je vous perds sans ce triste remède,Votre vie est pour moi d' un prix à qui tout cède.Je parlerai. Thésée, aigri par mes avis |
900 | Bornera sa vengeance à l' exil de son Fils.Un Père en punissant, Madame, est toujours Père:Un supplice léger suffit à sa colère.Mais le sang innocent dût-il être versé,Que ne demande point votre honneur menacé? |
905 | C' est un trésor trop cher pour oser le commettre.Quelque loi qu' il vous dicte, il faut vous y soumettre,Madame; et pour sauver notre Honneur combattu,Il faut immoler tout, et même la Vertu.On vient; je vois Thésée.Phèdre.Ah! je vois Hippolyte. |
910 | Dans ses yeux insolents je vois ma perte écrite.Fais ce que tu voudras, je m' abandonne à toi.Dans le trouble où je suis, je ne puis rien pour moi. |