Jean Racine
1639 - 1699
Phèdre [et Hippolyte]
Acte III
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Scène V. Thésée, Hippolyte, Théramène.
Thésée.Quel est l' étrange accueil qu' on fait à votre Père,Mon Fils?HippolytePhèdre peut seule expliquer ce mystère.Mais si mes voeux ardents vous peuvent émouvoir,Permettez-moi, Seigneur, de ne la plus revoir. | |
925 | Souffrez que pour jamais le tremblant HippolyteDisparoisse des lieux que votre Épouse habite.Thésée.Vous, mon Fils, me quitter?HippolyteJe ne la cherchois pas,C' est vous qui sur ces bords conduisîtes ses pas.Vous daignâtes, Seigneur, aux rives de Trézène |
930 | Confier en partant Aricie et la Reine.Je fus même chargé du soin de les garder.Mais quels soins désormais peuvent me retarder?Assez dans les forêts mon oisive jeunesseSur de vils ennemis a montré son adresse. |
935 | Ne pourrai-je, en fuyant un indigne repos,D' un sang plus glorieux teindre mes javelots?Vous n' aviez pas encore atteint l' âge où je touche,Déjà plus d' un Tyran, plus d' un Monstre faroucheAvoit de votre bras senti la pesanteur. |
940 | Déjà, de l' Insolence heureux persécuteur,Vous aviez des deux Mers assuré les rivages.Le libre voyageur ne craignoit plus d' outrages;Hercule respirant sur le bruit de vos coupsDéjà de son travail se reposoit sur vous. |
945 | Et moi, Fils inconnu d' un si glorieux Père,Je suis même encor loin des traces de ma Mère.Souffrez que mon courage ose enfin s' occuper.Souffrez, si quelque Monstre a pu vous échapper,Que j' apporte à vos pieds sa dépouille honorable; |
950 | Ou que d' un beau trépas la mémoire durable,Éternisant des jours si noblement finis,Prouve à tout l' Avenir que j' étois votre Fils.Thésée.Que vois-je? Quelle horreur dans ces lieux répandueFait fuir devant mes yeux ma famille éperdue? |
955 | Si je reviens si craint et si peu desiré,Ô Ciel, de ma prison pourquoi m' as-tu tiré?Je n' avois qu' un Ami. Son imprudente flammeDu Tyran de l' Épire alloit ravir la Femme.Je servois à regret ses desseins amoureux. |
960 | Mais le sort irrité nous aveugloit tous deux.Le Tyran m' a surpris sans défense et sans armes.J' ai vu Pirithoüs, triste objet de mes larmes,Livré par ce Barbare à des monstres cruels,Qu' il nourrissoit du sang des malheureux mortels. |
965 | Moi-même, il m' enferma dans des Cavernes sombres,Lieux profonds, et voisins de l' Empire des Ombres.Les Dieux après six mois, enfin m' ont regardé.J' ai su tromper les yeux de qui j' étois gardé.D' un perfide Ennemi j' ai purgé la Nature. |
970 | À ses monstres lui-même a servi de pâture.Et lorsque avec transport je pense m' approcherDe tout ce que les Dieux m' ont laissé de plus cher;Que dis-je? Quand mon âme, à soi-même rendueVient se rassasier d' une si chère vue; |
975 | Je n' ai pour tout accueil que des frémissements:Tout fuit, tout se refuse à mes embrassements.Et moi-même, éprouvant la terreur que j' inspire,Je voudrois être encor dans les prisons d' Épire.Parlez. Phèdre se plaint que je suis outragé. |
980 | Qui m' a trahi? Pourquoi ne suis-je pas vengé?La Grèce, à qui mon bras fut tant de fois utile,A-t-elle au Criminel accordé quelque asile?Vous ne répondez point. Mon Fils, mon propre FilsEst-il d' intelligence avec mes Ennemis? |
985 | Entrons. C' est trop garder un doute qui m' accable.Connoissons à la fois le crime et le coupable.Que Phèdre explique enfin le trouble où je la voi. |