Michel de Cubières
1752-1820
Épître aux Mânes de Dorvigni
1813
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NOTESDE L'ÉPÎTRE AUX MÂNES DE DORVIGNI.
――――――――(1) L'auteur de Siphilis dans les murs de Véronne.Le médecin Fracastor obtint une statue à Véronne pour son poëme didactique de la Syphilis, ou l'art de guérir les maladies vénériennes. Ce poëme est rempli de détails techniques un peu fatigans à lire, mais revêtus des formes les, plus brillantes et les plus pures de l'ancienne poësie latine. C'est le style de Lucrèce fondu avec celui de Virgile.(2) Va cueillir un laurier qui n'a rien de fragile.Il n'est pas de voyageur qui, arrivé à Naples, n'y cueille ordinairement une branche de laurier sur le tombeau de Virgile. C'est un hommage que tout le monde se plaît à rendre à ce grand homme. Si les Journalistes y alloient ce seroit pour rendre hommage à S. Janvier, et pour manger du macaroni.(3) Houdon rendit la vie au sublime Voltaire.La statue qui représente Voltaire en habit de sénateur romain, assis dans un fauteuil antique, est le chef-d'uvre de M. Houdon, et peut-être celui de la sculpture moderne.(4) Que le bon Rigoley jadis a recueillies.Rigoley de Juvigni, conseiller au parlement, de Metz, a recueilli en 9 vol. tous les ouvrages de Piron. Les puristes de l'Académie Française ont prétendu qu'il y avoit beaucoup de mauvaises pièces dans cette collection et qu'il auroit fallu la réduire à un seul volume. Moi, qui ne suis point de l'Académie Française, j'y trouve tout agréable. Piron était gai, chansonnier et buveur: comment auroit-il pu faire du mauvais? [17](5) Esmenard eut grand tort de mal parler de lui.Tout le monde a été révolté de la manière dont feu Esmenard a parlé de Louis XV dans son discours de réception à l'Académie Française. Louis XV aimoit le vin et les femmes; mais son règne a été l'un des plus pacifiques et par conséquent des plus heureux de la monarchie française.(6) Soyons justes pourtant, j'ai connu la Louptière.Il existe deux volumes de petites poësies de M. le comte ou le marquis de la Louptière, finissant presque toutes par un jeu de mots ou une pointe. Autrefois on appeloit cela des vers de qualité, parce que l'auteur était un homme de qualité. Je suis bien surpris que ce comte du marquis de la Louptière n'ait pas été de l'Académie Française. Le petit Poinsinet, si célèbre par les mistifications qu'il a essuyées, et le chevalier de la Morlière, par les petits désagrémens que son ombre inpalpable ne ressent plus, méritoient d'en être incontestablement. Quant à feu M. Garnier, il le méritoit aussi; car nous citons de mémoire, et nous croyons nous rappeler, qu'il a fait insérer dans le temps un logogriphe admirable dans le Mercure de France.(7) Sur ses petits lauriers leur tourbe se repose.J'ai connu dans ma jeunesse un M. Anseaume, souffleur du Théâtre Italien, homme très-honnête sans doute, mais auquel on attribuoit beaucoup d'opéras comiques qu'il n'avoit point composés. Si la Borde, fermier-général, vivoit encore, il pourroit en dire des nouvelles.(8) Et par Urbain Domergue à bon droit condamné.Urbain Domergue fut un bon grammairien, fut un très - honnête homme, fut de l'Académie Française; mais il ne fut que cela. Lourd et pesant dans ses écrits, il excita la clameur universelle par sa pédanterie, et s'attira du poëte Lebrun le quatrain suivant, qui ne sera jamais oubliéCe pauvre Urbain que l'on taxeD'un pédantisme assommant,Joint l'esprit du rudimentAux grâces de la syntaxe. [18](9) Vive donc Taconet! cet auteur fut unique.Taconet fut surnommé le Molière du boulevard: il étoit acteur et auteur, et a composé pour le théâtre de Nicolet cinquante ou soixante farces ou parades qui eurent dans leur temps le plus joli succès. Les rôles qu'il jouoit avec le plus d'originalité étoient ceux de Savetier et d'Ivrogne; et il étoit toujours ivre lorsqu'il jouoit les rôles de Savetier: il savoit d'un seul mot en peindre le caractère et la pensée. Vouloit-il exprimer tout le dédain que quelqu'un lui inspiroit, il disoit: Je te méprise comme un verre d'eau; c'étoit son jurement favori, comme celui de Ventre Saint-Gris étoit celui d'Henri IV. L'épisode que les derniers momens de sa vie m'ont fournie, est de la plus exacte vérité. Il ne mourut que pour avoir bu de l'eau à son agonie.(10) Mais Dorvigni, pardonne: on dit qu'il fut ton père.Il y avoit autrefois au Parc-aux-Cerfs, à Versailles, une quantité de jeunes et jolies demoiselles que le bon roi Louis XV alloit visiter en bonne fortune, mais en tout bien, tout honneur; car il dotoit toutes celles aux- quelles il faisoit des enfans. On prétend que le bon Dorvigni naquit d'une de ces demoiselles. On conçoit qu'une pareille particularité est une de ces anecdotes qu'on avance d'après des traditions orales ou verbales, et dont il seroit très-difficile d'administrer la preuve. Je l'ai vu cependant donner pour un fait incontestable dans quelques recueils et mémoires imprimés, et entr'autres les mémoires secrets de Bachaumont, en trente - deux volumes in-8°. Ce qu'il y a de certain, c'est que Dorvigni avoit quelques traits de la belle physionomie de Louis XV, et qu'il ressembloit, comme deux gouttes d'eau, à un écu de six livres au millésime de mil sept cent vingt-six à mil sept cent cinquante; c'est-à-dire frappé à une époque où le monarque jouissoit encore de toutes ses facultés morales et physiques. Dunois, Suger et d'Alembert, furent trois hommes illustres, l'un comme homme-de-lettres, l'autre comme homme-d'état, et le troisième comme homme-de-guerre, et tous les trois furent bâtards. Je pourrois en citer un millier d'autres; et si Dorvigni fut bâtard aussi, comme tout l'annonce, pour-[19]quoi ne seroit-il pas un des plus remarquables de cette dynastie immortelle?(11) Et faire par Dusault célébrer tes exploits.Ce M. Dusault, qu'il ne faut pas confondre, avec le respectable Dusaulx, traducteur de. Juvénal, signe par une lettre de l'alphabet, qui n'est point la lettre initiale de son nom, des articles très-malévoles et très-calomnieux dans le Journal de l'Empire. Tout le monde se mocque de ses articles, mais tout le monde admire ses exploits. Voyez l'histoire de son duel avec Chénier, clans Follicullus, charmant petit poëme de Luce de Lancival.(12) On se rappelle encor Jocrisse et les succès.Il en est de la famille des Jocrisses comme de celle des Pointus. Dorvigni a travaillé aux uns et aux autres, et on lui en a su peu de gré, parce que ses pièces n'avoient pas été jouées au Théâtre Français. Mais la peinture du peuple, que ce soit aux boulevards ou dans le château de Versailles, n'a-t-elle pas son mérite? La Courtille est plus suivie que l'il-de-Buf. On ne voyoit à l'il-de-Buf que des camayeux. La Courtille présente des tableaux de toutes couleurs et de toute espèce. Rubens a du génie sans doute, mais les Calot et les Ténières n'ont-ils pas le leur, et ne sont ils pas immortels autant que lui?(13) Et tu ne savois pas comme un petit collet.....On assure qu'avant la révolution la plupart des abbés ne s'introduisoient dans les maisons que pour surprendre les secrets des familles. Aujourd'hui la plupart travaillent à des journaux et ne font pas un métier plus honnête.(14) De Bièvre dans un cercle exhalant des rébus....Le marquis de Bièvre, écuyer de Monsieur, frère du roi Louis XVI, avoit de l'esprit et de la fortune; il mangea celle-ci avec des femmes de théâtre, et gâta l'autre par de mauvais calembourgs dont il infectoit la société. La comédie du Séducteur, où il n'y a point de [20]calembourgs, en est la preuve. Cependant il faut tout dire: cette comédie doit son succès aux corrections qu'y fit Dorat et au jeu brillant de Molé.(15) Les filles d'Audinot te suivant à la piste.....Le théâtre d'Audinot, long-temps directeur de l'Ambigu-Comique, a été une espèce de sérail, où l'on alloit jeter le mouchoir à la plus jolie. Le sultan Audinot le jeta si souvent qu'il en mourut, dit-on. Dorvigni le jeta aussi bien des fois; mais il fut plus heureux qu'Audinot, et surtout que le roi Louis XV, son père putatif.(16) Et voilà que Janot vient avec sa lanterne.Jamais pièce de théâtre n'a eu plus de succès que celle-là chez aucune nation du monde, si ce n'est l'opéra du Gueux, qui excita à Londres à-peu-près la même fureur. La comédie de Janot, ou les Battus payent l'amende eut non-seulement cinq cents représentations de suite, mais encore on fut obligé de la représenter deux fois par jour, comme déjà nous l'avons dit; et quelques auteurs, morts-nés, s'imaginent avoir réussi, lorsqu'ils ont obtenu dix ou douze représentations par année au Théâtre-Français ou à l'Odéon. Quelle pauvreté que l'orgueil dramatique de certains hommes! Quand on réfléchit sur les causes du prodigieux succès de Janot ou des Battus payent l'amende, on en trouve deux bien marquées et qui n'ont point échappé à la sagacité des observateurs de ce temps-là: la première, c'est que Janot fait une critique très-naïve, de l'idiome du peuple de Paris, qui n'est point du tout le langage français; et la seconde, c'est que, sous un air niais, il se mocque avec beaucoup de finesse des commissaires de police de ce temps-là.(17) Et le Mentor royal, monsieur de Maurepas.Comme il existoit alors un préjugé ridicule, qui ne permettoit pas aux gens de qualité de cultiver les lettres, et comme quelques-uns mettoient des noms empruntés à la tête de leurs ouvrages, les flatteurs de M. de Maurepas lui firent croire un jour, à la faveur de cet incognito, qu'il étoit l'auteur des Battus payent l'amende; et M. de Maurepas, quand on lui en parloit, ne disoit ni oui, ni [21]non. Quelques autres grands seigneurs voulurent lui en disputer la gloire; et alors il cita les Etrennes de la Saint-Jean, qu'il avoit, composés sous l'anonyme, avec le comte de Caylus, ouvrage fort gai et dans le genre des Battus payent l'amende.(18) Pour avoir à Chénier refusé son suffrage.M. de Châteaubriant a fait comme la Bruyère qui, dans son discours de réception à l'Académie Française, loua pompeusement tous ceux qui lui avoient donné leur voix. M. de Châteaubriant n'a point manqué de louer tous les membres illustres qui lui ont accordé leur suffrage; mais s'il est poli d'encenser les vivans, il n'est point du tout généreux de calomnier les morts; car les vivans peuvent remercier et les morts ne peuvent pas se défendre. Or, le discours de réception de M. de Châteaubriant n'est autre chose que la satyre de Chénier, auquel il avoit succédé dans l'Académie Française. Chénier cependant étoit un des bons littérateurs de ce siècle, et peut-être le meilleur de tous. Ses opinions politiques même n'étoient point diamétralement opposées à celles de M. Châteaubriant, si l'on veut se rappeler l'ouvrage que ce même M. de Châteaubriant a publié à Londres en faveur de la révolution française. M. de Châteaubriant me rappelle cet homme de l'Evangile qui voyoit un fétu dans l'il de son voisin et qui dans le sien ne voyoit pas une poutre.(19) Il fait des vers en prose aussi bien qu'Ennius.....La prose de M. de Châteaubriant est aussi empoulée que l'étoient les vers d'Ennius. Cependant il faut être juste, on trouve quelques perles dans les fumiers de l'un et de l'autre.(20) De Christophe le Rond, l'Optimiste a germé.Christophe le Rond est une comédie en un acte et en prose de Dorvigni. Colin - Harleville l'a développée en cinq actes, en vers; et le style un peu maniéré de celui-ci a triomphé du naturel de l'autre. Brueis avoit d'abord fait le Grondeur en un acte; son ami Palaprat le mit en cinq. Brueis, irrité, dit que son ami Palaprat [22]avoit fait un tournebroche d'une pendule, et prenant un juste milieu, il refit le Grondeur en trois actes, et tel qu'on le joue actuellement au Théâtre Français. Si la pièce de Colin - Harleville n'étoit pas semée de jolis vers, ne pourroit-on pas dire aussi qu'il a fait un tournebroche d'une pendule? On trouve dans les deux pièces les mêmes incidens et le même mouvement, en terme d'horlogerie.(21) On a beaucoup d'esprit, de mémoire aujourd'hui....Je viens de citer un plagiat bien reconnu de Colin- Harleville, et je ne finirois pas s'il falloit citer ici tous ceux qu'a faits à différens auteurs peu connus, son ami M. Picard de l'Académie Française. On croit peut-être que M. Picard est l'auteur de M. Musard, comédie qui a été représentée avec tant de succès sur ce qu'on appelle nos grands théâtres. On se trompe: cette comédie est tirée presque mot à mot de M. Lambin, comédie de M. Rousseau, qui n'est point Rousseau de Genève, qui n'est point Rousseau de Toulouse, ni Rousseau de Paris, ni Rousseau de la Parisière, mais qui est un homme aussi honnête que modeste. J'ai comparé les deux pièces ensemble, et j'avoue que j'y ai trouvé non-seulement les mêmes expressions, niais encore la même coupe des scènes et les mêmes caractères.Je pourrois dire plus au sujet des plagiats de M. Picard de l'Académie Française. Je me contenterai d'un seul fait qui pourra n'être pas agréable à ses oreilles, mais qui soulève mon cur d'indignation et presque de colère. M. Picard se dit auteur des Marionnettes, pièce qui a fait, dit-on, courir tout Paris, et qui a valu à l'auteur six mille francs de gratification. Cette pièce, tant vantée, n'est autre chose qu'une mauvaise copie du Jeune Philosophe ou les Bizarreries de la Fortune, comédie en cinq actes, de M. Loaisel-Tréogate, auteur du Château du Diable, drame en quatre actes et en prose, qui a eu cinq ou six cents représentations en deux années, sait sur les théâtres de Paris, soit sur les théâtres des départemens; succès équivalant à celui de Janot ou des Battus payent l'amende. Malgré cette grande renommée écluse du Château du Diable, M. Picard de l'Académie Française n'a pas craint de dérober le Jeune [23]Philosophe à M. Loaisel-Tréogate et de le transporter sur la scène sous d'autres noms. M. Loaisel-Tréogate n'étant pas de l'Académie Française, étoit simple, modeste et timide:il n'osa point réclamer contre cette spoliation manifeste; il se contenta de s'en plaindre à ses amis qui gémirent avec lui de cette injustice criante; mais il fut si affecté des mauvais procédés de M. Picard de l'Académie Française, qu'il en mourut de chagrin.Les Journalistes répandent quelquefois des fleurs sur la tombe de leurs amis Journalistes, ils n'ont pas dit un mot de feu Loaisel – Tréogate; ce qui a dû faire beaucoup de plaisir à M. Picard de l'Académie Française.(22) Or, le Ministre Anglais n'a pas le mot pour rire.Le Ministre Anglais est une pièce à grande prétention qu'on a essayée, il y a quelques mois, à la Comédie Française: elle n'a pas eu les rieurs pour elle. Il est vrai que M. Ribouté, son auteur, n'avoit pas le dessein d'égayer ses spectateurs; il ne vouloit que leur arracher des larmes. En définitif, il ne les a fait rire ni pleurer, quoiqu'il prétende être parvenu à ce dernier résultat dans une préface extrêmement chagrine. Quoi qu'il en soit, le Ministre Anglais, malgré ses défauts, vaut encore mieux que l'Assemblée de Famille. Il y a dans le Ministre Anglais quelques idées neuves, et l'Assemblée de Famille ressemble à tout. Cependant l'Assemblée de Famille a réussi, et le Ministre Anglais est tombé. C'est principalement pour les pièces de théâtre qu'on a dit: Habent sua fata libelli. |