B  I  B  L  I  O  T  H  E  C  A    A  U  G  U  S  T  A  N  A
           
  Voltaire
1694 - 1778
     
   


D i c t i o n n a i r e
p h i l o s o p h i q u e ,
p o r t a t i f


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     R É S U R R E C T I O N .

     On conte que les Égyptiens n'avaient bâti leurs pyramides que pour en faire des tombeaux, et que leurs corps embaumés par dedans et par dehors attendaient que leurs âmes vinssent les ranimer au bout de mille ans. Mais, si leurs corps devaient ressusciter, pourquoi la première opération des parfumeurs était-elle de leur percer le crâne avec un crochet et d'en tirer la cervelle? L'idée de ressusciter sans cervelle fait soupçonner (si on peut user de ce mot) que les Égyptiens n'en avaient guère de leur vivant; mais il faut considérer que la plupart des anciens croyaient que l'âme est dans la poitrine. Et pourquoi l'âme est-elle dans la poitrine plutôt qu'ailleurs? C'est qu'en effet, dans tous nos sentiments un peu violents, on éprouve vers la région du coeur une dilatation ou un resserrement, qui a fait penser que c'était là le logement de l'âme. Cette âme était quelque chose d'aérien; c'était une figure légère qui se promenait où elle pouvait, jusqu'à ce qu'elle eût retrouvé son corps.
     La croyance de la résurrection est beaucoup plus ancienne que les temps historiques. Athalide, fille de Mercure, pouvait mourir et ressusciter à son gré; Esculape rendit la vie à Hippolyte, Hercule, à Alceste; Pélops, ayant été haché en morceaux par son père, fut ressuscité par les dieux. Platon raconte qu'Hérès ressuscita pour quinze jours seulement.
     Les pharisiens, chez les Juifs, n'adoptèrent le dogme de la résurrection que très longtemps après Platon.
     Il y a dans les Actes des apôtres un fait bien singulier et bien digne d'attention. Saint Jacques et plusieurs de ses compagnons conseillent à saint Paul d'aller dans le temple de Jérusalem observer toutes les cérémonies de l'ancienne loi, tout chrétien qu'il était, «afin que tous sachent, disent-ils, que tout ce qu'on dit de vous est faux, et que vous continuez de garder la loi de Moïse.»
     Saint Paul alla donc pendant sept jours dans le temple, mais le septième il fut reconnu. On l'accusa d'y être venu avec des étrangers, et de l'avoir profané. Voici comment il se tira d'affaire:
     «Or Paul sachant qu'une partie de ceux qui étaient là étaient saducéens, et l'autre pharisiens, il s'écria dans l'assemblée: Mes frères, je suis pharisien et fils de pharisien; c'est à cause de l'espérance d'une autre vie et de la résurrection des morts que l'on veut me condamner. *) » Il n'avait point du tout été question de la résurrection des morts dans toute cette affaire; Paul ne le disait que pour animer les pharisiens et les saducéens les uns contre les autres.
     V. 7. «Paul ayant parlé de la sorte, il s'émut une dissension entre les pharisiens et les saducéens; et l'assemblée fut divisée.»
     V. 8. «Car les saducéens disent qu'il n'y a ni résurrection, ni ange, ni esprit, au lieu que les pharisiens reconnaissent et l'un et l'autre, etc.»
     On a prétendu que Job, qui est très ancien, connaissait le dogme de la résurrection. On cite ces paroles: «Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu'un jour sa rédemption s'élèvera sur moi, ou que je me relèverai de la poussière, que ma peau reviendra, que je verrai encore Dieu dans ma chair.»
     Mais plusieurs commentateurs entendent par ces paroles, que Job espère qu'il relèvera bientôt de maladie, et qu'il ne demeurera pas toujours couché sur la terre comme il l'était. La suite prouve assez que cette explication est la véritable, car il s'écrie le moment d'après à ses faux et durs amis: «Pourquoi donc dites: vous: Persécutons-le?» ou bien, «Parce que vous direz: Parce que nous l'avons persécuté.» Cela ne veut-il pas dire évidemment: «Vous vous repentirez de m'avoir offensé quand vous me reverrez dans mon premier état de santé et d'opulence?» Un malade qui dit: «Je me lèverai», ne dit pas: «Je ressusciterai.» Donner des sens forcés à des passages clairs, c'est le sûr moyen de ne jamais entendre.
     Saint Jérôme ne place la naissance de la secte des pharisiens que très peu de temps avant Jésus-Christ. Le rabbin Hillel passe pour le fondateur de la secte pharisienne, et cet Hillel était contemporain de Gamaliel, le maître de saint Paul.
     Plusieurs de ces pharisiens croyaient que les Juifs seuls ressusciteraient, et que le reste des hommes n'en valait pas la peine. D'autres ont soutenu qu'on ne ressusciterait que dans la Palestine, et que les corps de ceux qui auront été enterrés ailleurs seront secrètement transportés auprès de Jérusalem pour s'y rejoindre à leur âme. Mais saint Paul, écrivant aux habitants de Thessalonique, leur a dit que «le second avènement de Jésus-Christ est pour eux et pour lui, qu'ils en seront témoins.»
     V. 16. «Car, aussitôt que le signal aura été donné par l'archange et par le son de la trompette de Dieu, le Seigneur lui-même descendra du ciel, et ceux qui seront morts en Jésus-Christ ressusciteront les premiers.»
     V. 17. «Puis nous autres qui sommes vivants, et qui serons demeurés jusqu'alors, nous serons emportés avec eux dans les nuées, pour aller au-devant du Seigneur au milieu de l'air, et ainsi nous vivrons pour jamais avec le Seigneur.»  **)
     Ce passage important ne prouve-t-il pas évidemment que les premiers chrétiens comptaient voir la fin du monde, comme en effet elle est prédite dans saint Luc, pour le temps même que saint Luc vivait?
     Saint Augustin croit que les enfants, et même les enfants mort-nés, ressusciteront dans l'âge de la maturité. Les Origène, les Jérôme, les Athanase, les Basile n'ont pas cru que les femmes dussent ressusciter avec leur sexe.
     Enfin, on a toujours disputé sur ce que nous avons été, sur ce que nous sommes et sur ce que nous serons.
 
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     *)
Actes des Apôtres, chapitre XXIII, versets 6, 7, 8.
 
     **)
Épître aux Thessaloniciens, chapitre IV.