Jean Racine
1639 - 1699
Phèdre [et Hippolyte]
Acte V
|
|
___________________________________________________________
|
|
Scène dernière. Thésée, Phèdre, Théramène, Panope, Gardes.
Thésée.Hé bien vous triomphez, et mon Fils est sans vie. | |
1595 | Ah que j' ai lieu de craindre! Et qu' un cruel soupçonL' excusant dans mon coeur, m' alarme avec raison!Mais, Madame, il est mort, prenez votre Victime.Jouissez de sa perte, injuste, ou légitime.Je consens que mes yeux soient toujours abusés. |
1600 | Je le crois criminel, puisque vous l' accusez.Son trépas à mes pleurs offre assez de matières,Sans que j' aille chercher d' odieuses lumièresQui ne pouvant le rendre à ma juste douleur,Peut-être ne feroient qu' accroître mon malheur. |
1605 | Laissez-moi, loin de vous et loin de ce RivageDe mon Fils déchiré fuir la sanglante image.Confus, persécuté d' un mortel souvenir,De l' Univers entier je voudrois me bannir.Tout semble s' élever contre mon injustice. |
1610 | L' éclat de mon nom même augmente mon supplice.Moins connu des mortels, je me cacherois mieux.Je hais jusques au soin dont m' honorent les Dieux;Et je m' en vais pleurer leurs faveurs meurtrières,Sans plus les fatiguer d' inutiles prières. |
1615 | Quoi qu' ils fissent pour moi, leur funeste bontéNe me sauroit payer de ce qu' ils m' ont ôté.Phèdre.Non, Thésée, il faut rompre un injuste silence.Il faut à votre Fils rendre son innocence.Il n' étoit point coupable.Thésée.Ah Père infortuné! |
1620 | Et c' est sur votre foi que je l' ai condamné!Cruelle, pensez-vous être assez excusée...Phèdre.Les moments me sont chers, écoutez-moi, Thésée.C' est moi qui sur ce Fils chaste et respectueuxOsai jeter un oeil profane, incestueux. |
1625 | Le Ciel mit dans mon sein une flamme funeste.La détestable Oenone a conduit tout le reste.Elle a craint qu' Hippolyte, instruit de ma fureurNe découvrît un feu qui lui faisoit horreur.La Perfide abusant de ma foiblesse extrême |
1630 | S' est hâtée à vos yeux de l' accuser lui-même.Elle s' en est punie, et fuyant mon courrouxA cherché dans les flots un supplice trop doux.Le fer auroit déjà tranché ma destinée.Mais je laissois gémir la Vertu soupçonnée. |
1635 | J' ai voulu, devant vous exposant mes remords,Par un chemin plus lent descendre chez les Morts.J' ai pris, j' ai fait couler dans mes brûlantes veinesUn poison que Médée apporta dans Athènes.Déjà jusqu' à mon coeur le venin parvenu |
1640 | Dans ce coeur expirant jette un froid inconnu,Déjà je ne vois plus qu' à travers un nuageEt le Ciel et l' Époux que ma présence outrage.Et la Mort à mes yeux dérobant la clartéRend au jour, qu' ils souilloient, toute sa pureté.Panope. |
1645 | Elle expire, Seigneur!Thésée.D' une action si noireQue ne peut avec elle expirer la mémoire!Allons de mon erreur, hélas! trop éclaircisMêler nos pleurs au sang de mon malheureux Fils.Allons de ce cher Fils embrasser ce qui reste, |
1650 | Expier la fureur d' un voeu que je déteste.Rendons-lui les honneurs qu' il a trop mérités.Et pour mieux apaiser ses Mânes irrités,Que malgré les complots d' une injuste FamilleSon Amante aujourd' hui me tienne lieu de Fille.
Fin. |